
C’est passé, et ça s’est très bien passé. Comme si, après l’interdiction dans la ville d’Eymoutiers, tous les participants avaient voulu prouver à quel point une manifestation improbable, indépendante, autogérée et essentiellement politique (et radicalement sans étiquette, même pas ultra-senestre) pouvait être aussi bon enfant que chez les bisounours.


Le bourg de Peyrelevade y aura gagné. Il fut quelque peu décoré pour l’occasion, et, surtout, accueillant et vivant comme jamais je ne l’avais vu.


Après avoir filé quelques coups de main, j’ai complètement zappé le côté politique de la chose pour savourer les spectacles et le plaisir de retrouver les amis.
Plaisir aussi de tirer du sac les « Dernières nouvelles de l’homme » héritées de ma mère et d’en écrire, avec Christine, de beaux morceaux sur la route.


Parmi les découvertes : Ouffnoon, trio musical acoustique à textes.

Le chanteur dit des souvenirs de 1848 d’un menuisier parisien, un portrait de son grand-père arrivé par hasard en France, des réflexions de transports en commun. Presque du conte, des textes forts (un peu moins celui du métro), des musiques issues du répertoire baroque comme de John Zorn, en plus de leurs créations et jeux sonores tout à fait réussis.
Et aussi : Arterroriste, qui installa un « dispositif de surveillance durable et éco-compatible« , en fait un sténopé géant, aussi beau que fonctionnel. Belle expérience pour toute la famille, mais éviter les visites avec un groupe de gosses.

Et aussi : In extrêmiste, spectacle de cirque dans un décorum fanatique et burlesque, éminemment pédagogique : les enfants du premier rang y apprennent que le feu n’est pas si dangereux, qu’avec une arme on convainc n’importe qui de nous obéir, qu’après s’être fait exploser on va au paradis jouer du flutiau. En plus, ils cultivent leurs réflexes moteurs pour éviter de se prendre une bombonne de gaz ou une bombe géante sur le crâne.

Bref, c’est techniquement fortiche, et en plus, très drôle.
A part ça, niveau musique, Krekekekex Koax koax se sont surpassés sur la scène de la Croule

et il fallait bien ça pour nous donner le moral avant d’écouter Les liquidateurs

Trio (batterie / synthé / voix, et autant de masques à gaz en costards) qui pourrait être situé musicalement non loin de Programme, mais il semble qu’ils se situent avant tout politiquement : les textes sont dits (lus, sans doute) de façon relativement monocorde, mais avec une conviction énergique. Il y est question de Giordano Bruno (le penseur qui, il y a 500 ans, aurait le mieux compris les processus de domination actuellement à l’oeuvre), d’expérience métaphysique du quotidien avec un échange de petits pains au chocolat contre des rondelles de métal, des états d’âme et de la triste vie de deux fonctionnaires de police le long d’une voie ferrée, de l’espoir de comprendre mieux ce monde dans lequel nous vivons, et de contribuer sans ressentiment mais avec suffisamment de ressenti à le rendre meilleur.
Un tel contenu politique, aussi pointu et dépouillé, est assez inhabituel. D’après Jacques, il s’agit moins d’un concert que d’une performance. D’après moi, c’est aussi un tract, étayé par une analyse littérairement mise en forme et musicalement accompagnée. J’aimerais réécouter tout cela, mais pas de site internet en vue. On savoura l’instant.

On le savoura pendant 3 jours, il fallait se démultiplier pour assister à tout, je ne vais pas reprendre tout le programme. Je n’ai participé à aucune agora, vu aucun film (sauf la fin d’un docu sur Oaxaca et un peu de l’expo consacrée à cette commune libre).

Vendredi, il y eut un banquet populaire époustouflant sous le soleil, et à la nuit tombée de la nuit les concerts de Millenotes et Mana Orchestra qui firent danser toute la place de la Fontaine – barrée à la circulation. Puis La Marmaille, puis Fantazio et Benjamin Colin, qu’on ne présente plus bien que pas mal du public des bals trad ignorait leur existence. Du monde, de la bonne musique, des mots.

Et je ne tombe qu’aujourd’hui sur cette autre phrase de Vialatte : « La civilisation fait rage ».
Mais, comme le dit Louis Scutenaire que nous avons pas mal cité durant ces deux jours, « il faut savoir arrêter les citations au bon moment ».