Les chinchards s’étalaient en bac de polystyrène : modestes poissons, pas chers et pas aussi populaires que les maqueraux, ils ont une chair délicieuse, mais quelques épines dorsales qu’il vaut mieux ôter.
Suaves, mais pas sans piquants : allons-y pour le parallèle avec la nouvelle bande dessinée d’Ariane Pinel, Tapage nocturne.
C’est une fantaisie militaire, en somme, puisque, comme le dévoile la couverture, on y verra danser des gendarmes.
Ariane Pinel connaît bien le milieu folk, puisqu’elle est aussi flûtiste. Elle a choisi d’en dresser un portrait malin à travers une enquête aux airs de faits divers de province : un appel pour tapage nocturne qui se solde par la disparition d’un musicien, dont on retrouve l’instrument ensanglanté. Un polar ? Plutôt un huis-clos : l’intrigue se déroulera à la gendarmerie, au fil des interrogatoires du petit groupe de danseurs et musiciens amis du disparu. Les gendarmes, ça n’excite personne, surtout pas les folkeux : dans la tradition folk, il y a aussi la haine de l’uniforme (voire de l’Etat). Mais quand un ami disparaît, la situation bouscule les habitudes, et chacun ne se situe pas de la même façon par rapport à la maréchaussée.
Par contre, les langues vont bon train, et on en apprend un paquet sur les vieux vicieux et les jeunes excités qui se frottent en rond ou en carré au son des bourrées.
Ariane Pinel a l’art de faire des BD rusées, avec son trait fin, rond et élégant, et son air de ne pas y toucher. Ce tapage est moins un polar (on ne se soucie guère des invraisemblances, traitées avec désinvolture) que le portrait d’un petit groupe, dans un petit milieu.
Le côté « qui aime bien, châtie bien » s’insinue l’air de rien, avec plus de tendresse que de critique. C’en est presque louche… on finit par interroger la fable rassembleuse qui sous-tend tout ça : candeur ? ironie? pirouette? Avec un peu plus de piquant, j’aurais retrouvé l’aisance d’un Michel Leclerc (le cinéaste, pas le vendeur en gros) lorsqu’il fait le portrait des gauchistes : on rit bien haut de ses exagérations, car il est difficile de ne pas s’y retrouver (ou alors pour un gauchiste sans humour, il en existe aussi). Son expérience, on la sent; il ne renie pas son milieu, il s’adresse aussi, quoique pas seulement, à lui
(spécialement dans Télé gaucho, son dernier film, inspiré d’une aventure à laquelle il collabora : Télé bocal. Mais Le nom des gens, écrit avec Bahia Kasmi, a les mêmes ressorts).
En fond, ces fictions légères posent la question des valeurs et des histoires qui soudent un groupe, et de leurs évolutions. Enfin, pour Tapage nocturne, il serait plus exact de dire qu’il y a deux groupes… mais on en apprend un peu moins sur les gendarmes.
Tapage nocturne, Ariane Pinel, editions l’Oeuf, 14 €
(dans les bonnes librairies, et sur le site http://oeuf.buzzkompany.net/ )
PS : je remets la main sur les surnoms attribués au chinchard, ils sont pas mal : saurel, carangue, maquereau espagnol ou bâtard, robinelle, riton, querella, constut, biset ; et dans le midi : souvéréou, estrangle belle-mère.
Information trouvée dans Les Poissons, de la pêche à la poële, par Roby, ed. Arthème Fayard (coll. Encyclopédie Elle), 1960. Avec de magnifiques dessins de Kowska.