Du jour au lendemain, sans un au revoir

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Une sébaste hagarde, un saumon ébahi, un colin coi : décapités, les poissons font toujours plus morts, sur l’étal du poissonnier. J’ai dessinés ceux-là ce matin en pensant à la dernière émission d’Alain Veinstein (qui n’est ni mort ni décapité, rassurons-nous).

Cette émission, l’ultime, après 29 ans de bons et loyaux services (publics) à Radio France, aurait dû être diffusée le vendredi 4 juillet sur les ondes de France Culture. C’était pas mal, le 4 juillet, sur France Cul : avant la grille d’été, ils ont eu l’idée de chambouler les programmes par un jeu de chaises musicales : chaque journaliste prenait la place et l’émission d’un autre, on entendit le matin une voix habituelle de l’après-midi, et le soir, l’atelier de la nuit était animé par Tewfik Hakem (habitué des aurores pour son émission de 6h « un autre jour est possible », tenue ce jour-là par Abdelwahab Meddeb, etc…)

Tout était chamboulé, jusqu’à minuit, « du jour au lendemain » étant le lendemain (à 00h), l’émission n’était pas inclue dans cette joyeuse et temporaire valse d’animateurs. Plusieurs, d’ailleurs, l’annoncèrent à l’antenne , et se montraient curieux d’entendre ce « jour au lendemain »-là. Forcément : on savait que ce serait le dernier. Et qu’Alain Veinstein aurait « un invité très spécial : lui-même ». Pour une émission remplie de silence et de paroles littéraires, d’échanges d’idées qui prennent le temps de naître et de s’apprivoiser, c’était une gageure.

Curiosité déçue : à minuit, on eut droit, sans sommation, à une rediffusion d’un « jour au lendemain » antérieur (et tout à fait appréciable au demeurant), avec Pierre Lemaître comme invité. Pourquoi ? l’explication arriva le 9 juillet sur le site de France Culture :  l’émission du 4 juillet n’était pas conforme au cahier des charges. Donc : exit. Pour couper court aux accusations de censure, l’explication est accompagnée du podcast permettant enfin d’écouter les adieux d’Alain Veinstein à son public.

http://www.franceculture.fr/emission-du-jour-au-lendemain-du-jour-au-lendemain-4-juillet-2014-2014-07-05

On y entend la tristesse d’Alain Veinstein, une certaine faiblesse également, étonnante chez un journaliste qui recevait si attentivement ses invités, avec un vrai risque dans ses entretiens (ses silences, donc… que l’on peut voir avec Bénédicte Heim dans le film de Nicolas Philibert La maison de la radio). Derrière, discrète, sa colère et ses désaccords avec la politique de la chaîne. Son envie de continuer à défendre et faire vivre la littérature dans l’art radiophonique. Qui le fera, à l’avenir, à cette place nocturne, et comment ? A l’écouter, je ressens cette pente douce et néfaste qui nous entraîne, dans les métiers du livre, toujours plus bas, malgré la passion que l’on met à faire et à faire vivre notre métier.

Pas de quoi devenir une vieille réac : j’ai assez dit « place aux jeunes », j’attends d’entendre ce qui arrivera de nouveau à cette place-là, minuit sur France Culture, qui a cultivé avec art un auditoire exigeant. Le vide est là, j’espère que les suivants en feront quelque chose de beau. En attendant, ce n’était pas très beau de la part de France Culture de retirer à un producteur son émission d’adieu. Surtout que ces adieux sont loin d’être indignes, et disent l’amour d’un métier, avec la force et la fragilité que la passion lui donne.

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