pose d’apéro

Un peu avant le coucher du soleil, à l’heure des bières, le soleil donne encore très bien sur le perron et la place. Parfait pour dessiner en trinquant avec les voisins.

Lotte est invitée à se mettre dans mon champ de vision : je la dessine devant sa caravane.

 

Puis elle se prend au jeu et me propose quantité de poses, toutes plus réussies les unes que les autres, avec sa poussette en bois dont il ne faut pas oublier de dessiner la moindre vis.

Puis elle va chercher ses feutres et dessine des arbres et des mares.

Quelle ordure (pas que)

Les grondins, comme les autres poissons de l’étal, sont morts, mais ils ont encore l’air de grogner. Le saint Pierre ne vaut pas mieux, malgré son nom d’entrée de paradis. Les poissons qu’il faut pour accompagner un livre grinçant et pourtant étonnamment poétique in fine.

Ah, tout envoyer péter. Répondre à l’absurde par le chaos, le meurtre gratuit. A l’injustice par la vengeance, non moins injuste. être méchant, enfin ! Ou trouver un personnage suffisamment ignoble pour l’être à notre place, une belle ordure.
Ake Ordür, c’est ce genre de livre. Qu’au début je pris, un peu facilement peut-être, pour une BD de punk de base (les gens qui font chier, on les dézingue; Le parlement a sauté, c’est toujours merdique; demain sera comme aujourd’hui), vite envoyée (deux cases par page, au gros trait qui pourrait provenir d’une impression litho, mais avec une bichro argentée comme pour faire encore plus froid que l’inox).
Devais-je en attendre davantage d’un obscur auteur scandinave ? L’humour à froid, la misanthropie. ça zobe dans tout les coins, le protagoniste (Ake Ordür, donc, qu’on a un peu de mal à qualifier de « héros ») a des airs de dignitaire nazi avec sa casquette qui lui barre un oeil et une clope qu’il est perpétuellement sur le point d’allumer (les clopes étant un accessoire de survie et un des rares mc Guffin d’histoires ayant toutes les apparences de l’improvisation rageuse). En fait, plus qu’à un dignitaire nazi, on pense aux gravures de Maserel et aux dessins de Grosz, à la grande dépression des années 30 et à Maïakovski. Dans les histoires d’Ake Ordür, les « actions » n’y sont pas des titres bancaires (les banques sauteront comme le reste) mais des plans tous faits qui permettent de faire quelque chose de sa journée quand on est contre le libre choix. Plan d’action : 1- attaquer le Japon 2- Tuer des féministes 3- Boire de l’alcool 4- attaquer le Japon.

ake_ordur

Et puis, c’était peut-être un jour où j’avais envie d’envoyer balader pas mal de trucs, alors pourquoi pas finir cette bande dessinée, dont je continuais à engloutir les pages avec un mauvais rictus un peu blasé. Et finalement, la poésie de ce merdier m’a surpris dans les deux dernières histoires. Aussi brèves et absurdes que les autres, mais frappées au coin du sens du tragique. « La fin de l’ancien monde » et « CA/43 danseur » parlent, comme les autres, d’égoïstes irresponsables et hédonistes participant au naufrage global sans se soucier de sauver quoi que ce soit.
Non que cela transmette cette non-philosophie (chaque personnage semble personnifier l’absence de pensée), mais c’est comme être au bord d’un précipice : la beauté du vide, et la curiosité vers cet horizon du bas. Pas de quoi donner des pulsions suicidaires, mais plutôt une admiration devant ce beau portrait de notre époque – et sa poésie zobesque. Un coup de pied au cul ? peut-être. On arrive à de belles choses même avec des ordures.

Ake Ordür, de Lars Sjunesson, ed. L’Association, 2013