drainer, irriguer

« Sur ces parcelles, il y avait sept ou huit pêcheries (les zones humides…), c’était hyper difficile pour faire des cultures. C’était pas productif, quoi. Donc mon père a drainé, pour assainir. Et là, il a fait des cultures. A part dans cette zone, là : avec la glaise, on n’a jamais pu planter. On y a creusé la réserve. Donc l’eau qui alimente cette réserve, elle vient des drainages.
Alors les raccourcis faits un peu hâtivement, comme ‘vous drainez, puis vous irriguez’…
C’est ça, l’agriculture : pour produire un peu, il faut des méthodes. On enlève l’eau qui est en excès dans le sol, et on la remet après, de façon homogène. »

Les pommiers et poiriers de Taubregeas, en bio ou non (ça dépend des parcelles) sont irrigués souvent à partir de mai, où ils reçoivent 0.5 mm par jour (1mm, c’est 1 litre d’eau au m²). Et si c’est très sec : pas plus de 2.5 mm. Le système de goutte à goutte est piloté par une pompe que Pascal peut déclencher depuis le verger, selon l’état du sol et des fruitiers.

Devant la réserve, j’ai dessiné le dérouleur : c’est le printemps, ils sont en plein palissage sur les nouvelles plantations d’Opale.

construire, démolir, enfouir, déterrer

Ces encadrements de fenêtre étaient un vestige à peine déblayé cet été, avant que Bobonne, chef de chantier, ne décide leur démolition : plus sûr et plus facile pour construire ultérieurement un atelier ici. Et raser par la même occasion les bécosses (comme dit Marielle, ça m’aurait étonné aussi que les québecois n’aient pas un mot élégant pour désigner les toilettes de jardin), qu’on distingue à gauche du muret central.

ébouler des pierres, c’est une mission pour Gérard, qui manie la pelle comme personne.

Un bras articulé prolonge sa main, et pousse un faîte de noisetier comme on se remettrait une mèche derrière l’oreille.

Les bécosses ont donc sauté, par un des derniers jours d’hiver pluvieux de cette mi-avril. Parmi les amoncellements de pierres, de terre, de ronces, de souches de noisetières, il y avait aussi des vestiges : fragments élégants de fibrociment, vielles boites de conserve…

Il était bien avisé de ranger un peu avant que Gérard ne revienne aplanir et pousser tout ça le lendemain. Sous la pluie, on a joué aux T.I.G.. Avec un flegme anglais, j’ai pris en pincettes de noisetier des centaines de morceaux de plastique blanc souple pour les fourrer dans un sac poubelle. Geste que n’avait pas fait les femmes ayant fréquenté ces gogues de jardin, et, oubliant sans doute qu’elles n’offraient qu’un trou dans la terre, ou ne pensant pas aux générations suivantes, y avaient balancé leurs serviettes usagées.
Quand on se met à retaper des vieilles pierres, on comprend l’engouement des néo-rurales pour les moon-cup.


Le lendemain, pendant que Gérard éboulait les fenêtres, Marion nous présenta les bases de la phyto-épuration. Dès qu’on se soucie de regarder le bout du tuyau, parler du trajet de ses merdes et des façons de les offrir en pâture à des végétaux et des micro-organismes, c’est passionnant.

Décapité, pas dépité.

Au marché cet hiver, un saumon décapité semblait regretter ses vertèbres débitées en tranches. Depuis, j’ai lu un livre qui a pour héros une tête.


J’ai tellement râlé sur les têtes de cervidés, si surreprésentées dans le graphisme et l’art contemporain, que je n’aurais jamais dû ouvrir ce Fétiche. A première vue, c’est un élégant livre d’une dessinatrice douée (Noémie Marsily), qui cache sous une couverture à motifs très géométriques une histoire muette (mais chapitrée), dessinée de son énergique, fouillu et néanmoins élégant trait au crayon de couleurs.
Mais dès les premières pages, il faut se rendre à l’évidence : le fétiche en question, c’est bien ce qui restera de ce beau chevreuil observé par un gamin curieux le long d’une route. Le chevreuil, apeuré, part, et périt.
Le gamin s’en empare et l’empaille. Empaille la tête, bien sûr. La scène à elle seule est croquignolette : oubliées, mes râleries de motif, je savourai déjà l’histoire comme un bonbon anglais. Une confiserie tout en couleurs, y compris sanguines : car dans ce délicieux conte, il n’y a pas que le chevreuil qui y passe. Séparations, retrouvailles, coups du sort : Noémie ne nous épargne rien de ce qui fait les meilleurs mélos. De fait, les âmes sensibles pourront verser leur larme (et les enfants faire leurs cauchemars : ce n’est pas un livre qui leur est destiné), et les autres tenter de s’endurcir en savourant la métaphore finale.

Noémie Marsily a déjà fait quantités de pages ici et là, et même un premier livre (Fouillis feuillu, qui porte bien son nom). C’est ici son premier récit achevé, et chapeau! Il faut noter qu’elle réalise également des dessins animés. Ce livre eut pu être un dessin animé, mais c’est aussi bien de le savourer en tournant des pages, en y revenant, au soleil ou nocturnement, car il est très bien édité par les Requins Marteaux. Je n’en dis pas davantage, c’est muet et cela peut se lire trop vite et se relire sans fin.

Fétiche, de Noémie Marsily, ed. Les Requins Marteaux, 2013, 20 €.

et un petit tour sur le site de Noémie Marsily : http://marsily.net/noemie/

et un trophée de chevreuil dessiné dans un restau de la Vienne en 2011, au passage (comme quoi).