Comme une bio de Büchner faite de récits arrachés

Pas de barbeau à l’étal du poissonnier. Le barbeau se dissèque, dans l’Allemagne du 19ème siècle, et quelques espèces se pêchent encore aujourd’hui dans les rivières. Le barbeau (barbus barbus) n’est pas un bar; le poissonnier revend des têtes de bar et de colin au même tarif de bas morceaux. Parfaits fragments pour permettre au peuple de cuisiner pas cher, et pour parler d’un récit éclaté, jamais loin du peuple dont il est beaucoup question.

Dire d’un livre qu’il est révolutionnaire, c’est un peu ronflant. Surtout de nos jours où quotidiennement se produisent d’évidentes régressions (Ja, tâglich geschehen offenbare Rückschritte, écrit Heinrich Heine, dans sa version originale puis traduite en français dans les pages liminaires).
Georg Büchner, biographie générale a déjà été qualifié de révolutionnaire, dans sa forme et sa façon d’aborder la biographie*. Je lis peu de biographies, mais je veux bien croire qu’il soit rare qu’il en paraisse en trois tomes, un central et deux annexes.
Et avec autant d’attention aux sources et d’honnêteté scrupuleuse dans la démarche (un auteur qui semble dire qu’il n’a rien écrit, détaillant ses sources et remerciant ceux auxquels il s’abreuve, qu’il ne cesse de citer, traduit, agence : et par ce montage, fait un livre original, passionnant, et révolutionnaire.)

Révolutionnaire, dans le fond : il n’est question de rien d’autre que de révolution. Ou plutôt si, de tout ce qui fait la révolution : les gens, les institutions, les études, les injustices, le ciel, les riches, les pauvres, les tentatives, les procès, les trahisons, l’exil, les rencontres, la clandestinité, la famille, l’école,…
Pour ce qui est des gens : la cavalcade de noms propres peut donner un peu le tournis; si l’on veut être sérieux, le tome annexe B : Les noms est justement un index exhaustif plein de nouveaux récits enrichissant le tome central (qui peut se lire seul).
Il est question, au centre, de Georg Büchner. Et autour, des racines et ramifications de sa vie très remplie.
Je ne connaissais pas cet homme, mort en 1837, si ce n’est par un nom : Woyzeck. Le nom d’un pauvre homme, et une des trois pièces de théâtre qu’il écrivit (deux restant inachevées, on ne peut pas tout finir lorsque l’on est emporté par le typhus à 23 ans). Je n’ai toujours pas lu ses textes sauf peut-être le principal, publié aux mêmes éditions Pontcerq il y a quelques années : le messager de Hesse.
Une flugschrift, ou tract révolutionnaire (long comme un livret), imprimé clandestinement [on l’imagine peut-être comme le montre Rabah Ameur Zaïmeche dans son beau film Les chants de Mandrin]. Diffusé à quelques centaines d’exemplaires en 1834 dans le grand duché de Hesse; qui malgré sa force, ne suffit pas à enflammer une révolution, mais coûtera la vie à ses auteurs – à commencer par le pasteur Weidig.

Weidig, pasteur et instituteur progressiste, a quelque peu amendé le texte écrit par Büchner, plus jeune, plus radical, qui pointe explicitement le nécessaire renversement des riches par les pauvres. Issus tous deux de la bourgeoisie, ils n’ont pas le même rapport au peuple, qu’ils côtoient pourtant, sans condescendance, avec espoir et reconnaissance (s’y reconnaissant comme en faisant part).
Un espoir qui semble tellement démesuré quand on découvre l’organisation de l’attentat de Francfort en 1833. Un attentat dont bien sûr j’ignorais tout (j’aimerais bien entendre des historiens à ce sujet; ceux de La Fabrique de l’histoire, ce serait magnifique).

Fragment après fragment (ma lecture aussi fut décousue, elle n’en souffrit pas, ce livre est généreux avec ses lecteurs), j’imaginais l’auteur exhumant ces heurts historiques dans l’atmosphère tranquille d’une bibliothèque. Découvrant l’imminence d’un désastre, cherchant les causes, et devant tant de forces individuelles et collectives, et leurs échos contemporains, allant jusqu’à s’autoriser à imaginer les émotions des protagonistes. Mais attention : avec des précautions infinies envers la vérité : la typographie, la casse, les notes : tout contribue à mettre le lecteur face aux faits, y compris dans leurs multiples versions et interprétations. Les études büchnériennes déchainent les passions, apprend-on au début, et comprend-on ensuite. Parfois Frédéric Metz nous laisse entrevoir ce que peut-être il en pense, l’état rêveur dans lequel cette recherche le plonge, face à un arbre empli d’oiseaux. C’est aussi savoureux que rare, c’est une voix parmi d’autres.

Le récit s’entortille (revient en arrière, adopte un point de vue puis un autre, au fil des sources, compte rendus d’interrogatoires, correspondances et autres enquêtes biographiques) et dévoile par tiroirs des double fonds captivants sur les forces intellectuelles qui font avancer l’histoire, mêlées aux vies, leurs élans, lourdeurs de classe, trahisons, amours, renoncements et prolongements.
Il est écrit dans une semi-traduction qui offre la musicalité des mots allemands (la V.O.) doublant leur traduction et la précisant: cela infuse et fonctionne à merveille.
Il ne nous reste plus qu’à lire ce qu’a écrit Büchner, et à continuer la diffusion de cette indispensable flugschrifft : Le Messager de Hesse.
Inutile de dire que c’est d’actualité, de nos jours où quotidiennement…

Georg Büchner, biographie générale, par Frédéric Metz
3 tomes, aux éditions Pontcerq
– Tome central : Le Scalpel, le sang
– Tome annexe A : La Mort de Weidig
– Tome annexe B : Les Noms

* par des journalistes professionnels, de Libération et du Nouvel Obs.

(Croquis des spectateurs lors de la lecture-spectacle donnée par la Compagnie TBTNB à la galerie Area le 25 avril 2013)

Des verts en lumières

Le jeu des nuages le soir en ces journées d’éclaircies éclair dessinent un reflet aux nuages, sur le vert des collines et des cîmes.

Les voisins doutaient que cette éclaircie dure jusqu’au crépuscule : le dessin a été interrompu par une pluie de fin grésil. On n’est que fin mai et c’est comme si la météo prenait une place dans nos vies proportionnelle à la pluviométrie.

Entre deux averses

2594 était hésitante, hier soir. Elle avait mollement moutonné avec la tête du troupeau résignée à brouter un peu après la traite. Mais vraiment, ce gros crachin… Elle posa ainsi cinq bonnes minutes, le temps que la pluie forcisse et que les téméraires fassent demi-tour pour se remettre à l’abri.

De temps en temps 2594 (également connue sous le nom de Betsie 594) regarde passer les Renault 11, quand il fait beau. ça, c’est l’fun.