royaux sauvages

Les daurades royales tout court sont d’élevage, ai-je donc appris.
Les sauvages se repèrent aisément à leur gueule.

– Sacrée dentition, hein… Attendez, je vous montre mieux. Il leur faut ça, elles se nourrissent de corail.
– Ah… Enfin, les sauvages, car celles d’élevage, elles ne mangent pas du corail, j’imagine.
– Oh, certainement pas… celles-là, on ne sait pas ce qu’elles mangent.

Ils sont sympas les poissonniers du marché de Gentilly. Quand j’ai dit que je mettrai sans doute ce croquis de dorade (royale ET sauvage) en parallèle avec une chronique d’histoires de pirates, ils m’ont conseillé de dessiner plutôt un sabre.

– Mais vous en avez, du sabre ?
-Oh non, c’est rare. Mais on vous en mettra un de côté!

De crainte qu’il ne soit faisandé, je m’empare de la daurade (ou dorade) sauvage et de son air indomptable pour parler du dernier livre de Baladi chez The Hoochie Coochie : Renégat, avec deux sabres en couverture.

Et la couverture ne ment pas : c’est une histoire de pirates, intégralement. Un récit de renégat, si l’on s’en tient à l’étymologie du terme. Renégat à quoi ? c’est toute la question que file Baladi dans ce récit dessiné, à la fois épique et introspectif.

On sent tout le respect qu’il porte à la piraterie libertaire et à sa morale (la morale des pirates, parfaitement. Question d’éthique), et la postface nous apprend que cet attachement ne date pas d’hier. Ce n’est pas la première fois que ressort cette passion sincère sous la plume d’un auteur : Les Pirates, de Gilles Lapouge*, transmet le même enthousiasme. Le lecteur, séduit, l’envisage avec circonspection : ces révoltés en marge des guerres officielles, apatrides épris de liberté partageuse et de redistribution des richesses, étaient ils combattants ou meurtriers ? tuaient ils par nécessité seule, contraints à la bataille à cause d’une guerre sociale et économique ?
Les pirates étaient-ils des barbares, ou des idéalistes ? Où est la vérité historique ? Où sont les bons, où sont les méchants ? Qu’on nous dise, une bonne fois pour toute, on n’aura ainsi plus peur du ridicule en arborant nos pulls mohair à jacquard tête de mort.

Alex Baladi s’est posé peut-être ce genre de questions -pas celle du pull, avant- en mettant en scène le héros de son récit enchâssé : un pirate en prison. Un renégat, dans le sens où il trahit sa nation, en embrassant la cause de la piraterie, arguments à l’appui (belle scène aux sources historiques). Il tuera donc, bien qu’il n’aime pas ça : la lutte paye parfois, mais encore faut-il lutter vraiment. C’est plutôt un bon gars, notre pirate, mais il a choisi son camp, et pas moyen de se défiler au moment du combat. Il faut bien de l’aventure, et l’aventure, c’est sanglant, forcément. Notre pirate le sait, il en rajoute un peu parfois, et ce sang diégétique lui apporte sa ration de gigot.
Un renégat, donc, qui trahit peut-être sa religion, s’il en a une, en tous cas celle de son pays d’origine : il fraye avec les maures, les musulmans. Et ça n’a pas l’air de lui déplaire.

Baladi passe du récit à son contexte en enchainant les dialogues et les cases dégringolent en bulles, comme les volutes d’une histoire brodée autant que remémorée. Du rythme et de l’ellipse, les images dialoguent autant que les personnages : jamais bavard, le récit défile d’un trait, limpide.

On ignore le nom de notre pirate, car c’est avant tout un personnage de Baladi, nourri de tous les pirates ; il est exemplaire : il s’est choisi une destinée. Il a pourtant des défauts. Il se retrouve être le témoin d’une confrérie qui laissa peu d’écrits et beaucoup de légendes. Il se retrouve en pâture, livré aux mains et à l’écriture d’un ennemi de classe. Doit-il se taire ? Il parle. Trahira t-il ses opinions ? Jamais. Et cela ne posera pas problème, tant que certains préjugés seront saufs, dans l’esprit de son interlocuteur. Trahira t-il son ami ? Pas davantage. Le souvenir de son ami ? Aaah… Trahira t-il sa liberté ? Pas tant qu’il aiguillera celle de son lecteur. Un lecteur au final moins effrayé par le sang que par les préjugés persistants, et les pleutres qui acceptent le pire en se disant encore « ça pourrait être pire ».

* cité en postface, ainsi que Libertalia de Daniel Defoe, que les écrits de Peter Lamborn Wilson, et qu’un essai sur l’islamophobie en France (Thomas Deltombe, L’islam imaginaire – construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975 – 2005, La Découverte, 2007).

PS : pour les poitevins et les parisiens (qui sont à 1h30 de Poitiers, pour à peine 25 fois plus qu’un ticket de Rer), il y a une expo Abordages à la Fanzinothèque, ça commence ce mercredi 24 octobre.

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